croissance arbre

Bien que le mot « décroissance » soit de plus en plus évoqué sur les plateaux télés, il reste trop souvent un épouvantail qui coupe court au débat : le décroissant est un dangereux fanatique, nostalgique du temps des chasseurs-cueilleurs, pourquoi perdre son temps à écouter cet oiseau de malheur ? 

Mais si le terme de décroissance est si mal reçu aujourd’hui c’est que ses défenseurs oublient trop souvent de parler des croissances annexes qui accompagnent cette décroissance. Or omettre de parler de ces nombreuses contreparties de la décroissance c’est uniquement mettre l’accent sur les renoncements, les efforts à fournir … et ce discours risque de ne pas faire changer notre société et les comportements de chacun. Pour que la transformation soit effective, il nous faut donc donner envie, démontrer point par point que le monde d’après n’est pas d’abord austère, ascétique mais profondément désirable et bien distinguer l’actuelle croissance de la notion de progrès, trop souvent confondues. 

Alors contre tous les discours décroissants-déprimants, je vous partage dans cet article, trois formes de croissances infinies vers lesquelles se diriger, qui au lieu de détruire nos ressources, les préservent et les augmentent.

Trois croissances pour demain

Croissance du savoir

Bien souvent avec la crise écologique, la figure de l’ingénieur est malmenée : il est le technicien par excellence qui participe à la performance aveugle du système productif, rivé sur ses chiffres et ses KPI, son analyse de courte vue se limite à ces derniers, sans prendre en compte la réalité sociale et environnementale que ses abstractions tentent de représenter. Quelle place alors pour l’ingénieur quand on cesse de lui demander d’optimiser les systèmes pour qu’ils produisent plus ? 

Dans le monde de demain, l’ingénieur ne changera pas fondamentalement ses méthodes, mais il concevra différemment : de façon plus sobre, plus efficace, toujours dans une optique d’économie. Cette croissance des savoirs, et notamment de ceux scientifiques doit nous permettre de faire des gains d’efficacité qui permettent de produire par la suite avec le moins d’énergie possible. 

Cependant, si la croissance des savoirs en vue de l’efficacité est infinie, elle ne sera pas suffisante pour infléchir la croissance (celle du PIB) actuelle.  Ces gains d’efficacités, ne sont qu’un palliatif et ne seront jamais suffisants pour nous éviter de remettre en question nos modes de vie. On observe avec l’effet rebond (ou le paradoxe de Jevons) que depuis deux siècles, lorsqu’une nouvelle technologie permet une économie d’énergie, la consommation, au lieu de diminuer, explose du fait de l’adaptation du comportement des individus. Plus le rendement est bon, plus l’énergie est accessible et plus on en consomme. Les gains d’efficacité doivent donc être accompagnés par un progrès éthique de la société ; progrès qui se traduit dans les faits par une culture de la sobriété. 

Enfin et c’est peut-être la partie la plus idéaliste de cette réflexion, approfondir son savoir, assouvir sa curiosité par la lecture, est un loisir qui contrairement à d’autres consomme peu et ne nous lasse pas. Arrêtez le jet-ski, plongez plutôt le nez dans vos bouquins !

Croissance sociale

Le PIB est encore aujourd’hui l’indicateur de référence pour mesurer la croissance d’un pays. Or cet indicateur ne prend pas du tout en compte la croissance des relations sociales. Il aura fallu le covid-19 pour que les métiers indispensables, qui font la société, soient un tant soient peu reconnus : tous les métiers du care – les infirmières, les auxiliaires de vie, les assistantes sociales – mais aussi les éducateurs, les éboueurs. Ces personnes participent à la croissance du pays mais la valeur sociale qu’ils créent n’est pas reconnue. 

Cette croissance sociale, croissance des liens, plutôt que des biens, se développe particulièrement avec un nouveau type d’économie : celle du partage, de la collaboration et de la fonctionnalité. Contrairement à l’économie actuelle qui n’a de cesse de vouloir séparer les individus dans le but d’augmenter le nombre de consommateurs, ces économies émergentes cumulent les bienfaits pour notre société : ils favorisent les interactions sociales, font faire des économies, et sont plus respectueux de l’environnement. Supermarché collaboratif, covoiturage, réemploi, repair-café, offre locative, coopérative en tout genre : les initiatives sont innombrables mais encore trop peu connues !

Croissance organique

La troisième croissance qui ne connaît pas de limites est celle organique. C’est maintenant dans la doxa : une croissance infinie dans un monde aux ressources matérielles finies mène nécessairement à l’effondrement et aux catastrophes. Mais ce n’est pas tout à fait vrai, les ressources matérielles ne sont pas finies bien au contraire car le soleil brille toujours (enfin pour plusieurs milliards d’années) ! Tout vient de l’énergie solaire : hydrocarbures, charbon, biomasse, … Ces ressources que l’on estime limitées (à juste titre) sont de l’énergie solaire transformée. Plutôt que de s’attarder sur les dérivés fossiles, revenons donc à la source : le soleil ! 

Bien sûr je ne fais pas ici un plaidoyer pour les panneaux solaires, qui on le sait ne sont pas irréprochables puisqu’ils nécessitent pour leur fabrication terres rares et énergies fossiles ; ils sont par ailleurs difficilement recyclables pour le moment. Non, je parle d’autres sortes de « panneaux solaires » qui utilisent une technologie que nous n’avons pas inventée, absolument propre qu’est la photosynthèse : je parle ici des plantes. Ces dernières font mieux que tous les panneaux solaires, puisqu’en plus de capter de l’énergie, elles stockent du carbone et rejettent de l’oxygène ; au lieu de finir à la casse, sur une montagne d’autres déchets, elles se transforment en matière organique et nourrissent toute la chaîne du vivant. 

Un bon exemple de cette croissance infinie est observée dans les micro-fermes en permaculture, qui parviennent à transformer une terre peu fertile en un paysage comestible au sol extrêmement riche sans énergie fossile et où la production au mètre carré est bien supérieure à celle de l’agriculture conventionnelle.

Vers une transformation durable

Parler de « croissance verte » ce n’est donc pas se diriger tranquillement vers une transition qui ne remettrait pas en cause nos modes de vie, nos standards : c’est parler d’une transformation en profondeur de nos habitudes, de nos consciences.  

Si l’on regarde cette transformation sous le prisme de notre bonne vieille croissance, alors oui on ne peut qu’être effrayé par la décroissance qui s’annonce : diminution de la production, des transports, des échanges internationaux, de notre pouvoir d’achat. Mais ce faisant on occulte les trois croissances que je viens d’évoquer plus haut. 

Qu’on ne s’y trompe pas, la transformation durable de notre économie et société toutes entières est ce passage : 

Des biens aux liens

De la quantité à la qualité

De la propriété à l’usage

Du superflu à l’essentiel

De l’orgie consumériste à la sobriété heureuse

Et n’oublions pas … le soleil brille toujours !

Un article rédigé par Hugues Douillet, Team Player chez MySezame

(1) https://www.youtube.com/watch?v=LZVkPsfYKew : Voir un exemple de croissance organique dans la ferme désormais bien connue du Bec-Hellouin. Charles Hervé-Guyer, paysan, nous démontre que cette croissance infinie est possible.