Il nous a fallu beaucoup de temps pour prendre le covid-19 au sérieux. A part quelques hypocondriaques, nous pensions tous qu’il s’agissait d’une grosse grippe particulièrement virale. Pourtant, nous avions vu les images impressionnantes des rues de Pékin vides, nous avions connaissance de la difficulté de l’Italie à contenir l’épidémie. Mais bon, … la Chine était si loin … et les Italiens avaient sûrement géré le virus avec la légèreté qui les caractérise, pensions-nous avec condescendance. Bref, nous étions en plein déni du réel … 

Corona, climat, biodiversité  : une civilisation du déni ?  

C’est du réel précisément dont je veux parler dans cet article. Je pense que la crise que nous traversons nous oblige à renouer avec le réel. Ce virus en est une parfaite illustration : il nous résiste, nous peinons à le contrôler et nous dépasse complètement. Le covid-19 donne un peu de consistance, de solidité, bref de réalité à notre société liquide (1) : le monde se fait plus palpable, les frontières se referment, les échanges ralentissent, la nature nous résiste et la puissance de notre administration et de nos technologies se trouve mise en échec.

« Nous sommes en guerre » a dit gravement notre président, mais contre qui nous battons-nous ? Quel acteur inconnu est donc entré sur scène ? On persistait à croire, malgré le changement climatique, que la nature, la terre, n’était qu’une scène, un cadre immuable et parfaitement maîtrisable, sur lesquels l’être humain pouvait jouer sans contrainte. Avec le corona-virus, Gaïa (2) reprend ostensiblement ses droits. Celle-ci n’est plus passive mais bien l’actrice principale de cette tragédie. Enfin, on redonne à la Terre le premier rôle. Peut-être nous faut-il alors entendre cette crise comme une sommation de la nature : si nous continuons dans la voie du déni, nous nous confronterons à des catastrophes bien plus grandes encore. A titre d’exemple, un des effets du réchauffement climatique est la fonte du permafrost ; phénomène qui libère d’innombrables virus et bactéries jusqu’alors emprisonnés dans la glace (3). Nous ne serions donc pas au bout de nos surprises …

Il est donc temps de reconnaître que la nature (climat, biodiversité, …) a désormais son « mot à dire », qu’elle joue un rôle si important que l’ignorer dans nos décisions est désormais une grave erreur stratégique en plus d’être une preuve d’irresponsabilité.

En nous confrontant au réel, le virus nous ramène à l’essentiel : les 3 effets bénéfiques que peut avoir cette crise

Le virus nous prend donc au dépourvu par la résistance qu’il nous oppose et dans chaque domaine de nos vies il nous impose des contraintes … qui ne sont pas forcément néfastes. Je choisis de vous partager trois effets bénéfiques de celles-ci.

Approfondir les relations

Tout d’abord, nous voilà confinés, pour la plupart, avec nos familles. Dans tous les cas, notre cercle de relations s’est extrêmement réduit. Nous sommes donc contraints de passer de la quantité à la qualité : non, nous ne ferons plus de nouvelles connaissances au cours d’une soirée, nous voilà obligés d’approfondir les relations déjà construites. Peut-être que ce temps sera l’occasion de repérer quelques défauts de construction qu’il faudra corriger, de mettre fin à des non-dits, de libérer une parole jusqu’alors réprimée. Les parents surbookés ne pourront plus fuir désormais leurs enfants en allant travailler : une relation plus étroite se nouera-t-elle entre eux ? On l’espère. Cette crise nous oblige à véritablement rencontrer les gens, nos proches et nos voisins. Nous nous vantons souvent d’être des personnes « ouvertes d’esprit » au prétexte que nous voyageons beaucoup à travers le monde et que nous aimons la « différence » et la « diversité » : saurons-nous relever le défi d’aimer la différence et la diversité chez nos proches, chez nos voisins ? La première chose de bon dans cette crise c’est donc qu’elle nous permet d’approfondir nos relations.

Revaloriser les métiers qui ont du sens

Le deuxième point positif se situe sur le plan professionnel : cette crise joue un rôle de révélateur des métiers qui ont du sens et de ceux qui n’en n’ont pas. Rien de tel qu’un mois et demi de confinement pour constater quels sont les métiers les plus indispensables, ceux qui le sont moins et ceux qui ne le sont pas du tout. Espérons que le travail de valorisation et de reconnaissance du personnel soignant qui est fait durant cette crise perdurera et se traduira dans les faits (budget et salaire notamment), de même pour les agriculteurs, les éboueurs, etc. Espérons également que cette crise nous fasse remettre en question plus profondément tous les bullshits jobs que David Graeber a déjà dénoncés : ces jobs qui n’apportent rien au monde, qui ne servent à rien et dont l’existence est « une cicatrice qui balafre notre âme collective » (4). Dans tous les cas, un grand travail de réflexion doit être mené pour repenser les critères de réussite, questionner nos imaginaires, nos représentations collectives, et certaines projections que nous faisons sur nos enfants (le « tu seras polytechnicien mon fils »).

Redonner un sens à notre vie

Enfin, la dernière chose que cette crise peut nous apporter se situe plus sur le plan personnel. Le confinement nous pousse à une introspection forcée : désormais nous avons le temps de nous poser, de réfléchir au sens que nous voulons donner à notre vie, à notre travail, à notre entreprise. Libérer des sollicitations extérieures, nous pouvons vraiment écouter notre désir profond et repenser à des rêves que nous avions laissés au placard ou bien des passions que nous avions abandonnées, faute de temps. Là encore il nous faut espérer que ces redécouvertes ne soient pas qu’une parenthèse qui se referme une fois la crise terminée, mais qu’elles nous mènent à changer concrètement des choses dans nos vies et pourquoi pas à mettre plus d’impact positif dans notre travail.

Aujourd’hui et demain : avoir le courage de se confronter au réel

« Je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! » s’exclame Rimbaud à la fin d’Une Saison en Enfer (5). Avec le covid-19, les avions restent au tarmac, le périphérique se vide, et l’on se retrouve « au sol », chez nous, confinés. Il nous faut alors affronter la rugosité du quotidien, du banal, des relations : du réel. Nous ne pouvons plus le fuir dans nos voyages, nos vies accélérées, nos sollicitations permanentes. Dès aujourd’hui, et demain après la crise, nous devrons nous confronter à ce réel que l’on a trop longtemps dénié : entre autres la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité et les inégalités croissantes. Le covid-19 nous donne l’opportunité de nous ressaisir : ne la laissons pas nous échapper !

Un article rédigé par Hugues Douillet, Team Player chez MySezame

(1) Zygmund Baumann- La Vie liquide, 2006.

(2) Cf. Le sens que prête à ce terme Bruno Latour dans Face à Gaïa, 2015.

(3) La question de la semaine dans Science et avenir : la fonte du permafrost est-elle une menace pour l’humanité ? 

(4) David Graeber – “The Modern Phenomenon of Bullshits Jobs”

(5) Arthur Rimbaud- Une Saison en enfer, « Adieu »