Photo prise lors de la matinée de MySezame Le Club le 21 janvier 2020 à la Felicità, Station F

Le 21 janvier 2020, MySezame Le Club organisait sa première matinée de l’année autour du sujet de la Tech for Good. Au programme : une table ronde inspirante, des pitchs de startupeurs à impact et des ateliers pour passer à l’action. Pour démarrer, trois experts prestigieux : Eva Sadoun, Présidente co-fondatrice de LITA.CO / Co-Présidente du collectif FEST, Pierre Marty, Responsable Technologies au sein du cabinet PwC, et Eneric Lopez, Directeur de l’IA chez Microsoft France.

MySezame Le Club est une communauté de dirigeants, collaborateurs et indépendants, investis pour placer les enjeux sociétaux au cœur de leur organisation, leur secteur ou leur activité. Ses membres se rencontrent autour de quatre matinées annuelles thématiques. Le but : se tenir informés des dernières tendances et capter les signaux faibles, s’inspirer des pionniers des entreprises à impact, stimuler leur capacité d’innovation à la fois pour leur business & la planète. 

Pourquoi la « Tech for Good »? 

D’article de presse en événement, ces mots sont sur de nombreuses lèvres. Pourtant, le concept n’a pas la même implication en fonction des acteurs. Face au contexte global d’urgence sociale et climatique, l’industrie des technologies est-elle vraiment l’une des solutions ? L’innovation technologique et scientifique détient-elle les réponses aux 17 objectifs du développement durable des Nations Unies (ODD) ? Notre conviction, partagée par nos trois intervenants : la Tech se doit d’être for Good ou ne pas être.

Bousculer les codes, mettre de l’impact autour de 4 grands principes

Le collectif FEST (France Social Tech) – bientôt rebaptisé Tech for Good France, est né pour porter la voix française des startupeurs tech engagés, aux antipodes de la tech gadget. « Jusqu’à présent, la logique digitale était de développer des licornes en hyper croissance. Il faut arrêter ça ! », s’insurge Eva Sadoun. Sa définition de la Tech4Good :

« Dès le départ dans la Tech4Good, le modèle d’activité est fondé sur la résolution d’une ou plusieurs grandes problématiques sociétales. La gouvernance doit être éthique et participative, avec une entreprise ancrée dans l’écosystème de son territoire. La valeur financière a vocation à être partagée équitablement avec les collaborateurs, les sous-traitants et partenaires. Les externalités environnementales sont limitées le plus possible, et le capital humain / social est valorisé », énumère-t-elle.

« Reconnecter l’épargne au développement économique durable de la société » 

FEST est le premier mouvement qui réunit des entrepreneurs, des incubateurs, des associations, des investisseurs et financeurs. « Les start-ups à impact ont besoin d’être connectées avec les investisseurs. Il faut accompagner les venture capital [1]», explique cette spécialiste de l’impact investing. Son constat : moins de 10% des transactions financières financent l’économie réelle. Déterminée à changer le monde de la finance, Eva Sadoun a co-fondé LITA.co. Née en 2014 sous le nom 1001PACT, sa plateforme d’equity crowdfunding permet aux internautes d’investir, dès 100 euros, dans des PME à vocation sociale ou environnementale et d’en devenir actionnaire. « Ce mode de financement reconnecte l’épargne au développement économique durable de la société », constate-t-elle.

Accentuer le soutien public à l’innovation à impact 

Plus largement dans la finance, la dimension « for Good » devient enfin différenciante lors des levées de fonds. Nombre d’investisseurs ne conditionnent plus seulement des critères de rentabilité, à leurs prises de participations au capital des start-ups. Fort d’environ 150 adhérents, tous des success stories françaises (Phenix, Ulule, Simplon, Social Good Accelerator, HelloAsso, etc.), FEST outille, structure le secteur et réclame une politique publique de soutien à l’innovation à impact, via la BPI France et des aides publiques du type Crédit d’Impôt Recherche, ou le statut Jeune Entreprise Innovante.

Impact social et environnemental, les Tech remises en cause

L’étude Tech for Good de PwC et TECH’IN France [2] met en avant des startups intégrant des objectifs sociétaux, dès leur création. Pour les entreprises bien établies, c’est une façon d’encourager à l’action. Elles doivent travailler sur leur raison d’être pour répondre aux attentes de la société en pleine évolution, au risque de perdre leur profitabilité sur le long terme.

« Les technologies, qui étaient historiquement perçues comme apporteuses de solutions, sont désormais fortement remises en cause sur leur impact social & environnemental », décrypte Pierre Marty.

Inégalités, éthique, emploi au cœur des débats sur l’IA

L’inclusivité est un enjeu crucial dans la construction d’une Tech for Good. L’ONU s’alarme de la « nouvelle génération d’inégalités au XXIe siècle, qui sont liées à deux bouleversements sismiques : l’avènement des nouvelles technologies, la quatrième révolution industrielle, l’économie numérique… et le changement climatique » [3]. L’intelligence artificielle soulève maintes questions d’éthique et d’emploi. En 2018, la mission « IA for Humanity » a travaillé sur la stratégie d’IA française pour le gouvernement. Son rapport [4] préconise d’aller plus loin dans l’ouverture des données détenues par les acteurs privés (transport, santé, écologie, sécurité), à des fins de recherche et d’utilité publique, et de soutenir l’innovation répondant à des objectifs d’intérêt général.

De son côté, le géant Microsoft appelle à une « IA for responsable », en érigeant de grands principes : « l’équité, la fiabilité, la confidentialité et la sécurité, l’inclusivité, la transparence et la responsabilité sociétale », liste Eneric Lopez. Conscient de certaines limites de l’IA, il cite l’exemple générique d’un moteur de recommandation sur les rémunérations, qui prolongerait les inégalités salariales hommes / femmes. En 2016, on dénombrait moins de 10% de femmes dans les écoles d’ingénieur en informatique. Les algorithmes d’IA pourraient contribuer à reproduire des biais de genre, face au manque de diversité de ceux qui les développent, si aucune mesure n’est prise…

Initié par Microsoft, le collectif Impact IA réunissant startups et grands groupes – comme Orange, AXA ou Bouygues, travaille sur des enjeux de data sharing.

« Nous avons de plus en plus de données. Il faut agir pour les mettre en commun pour générer des solutions qui permettraient d’avoir un impact social positif », poursuit le Directeur de l’IA de la filiale française.

Le rapport Villani appelle également les sociétés qui développent des services d’IA, au financement de la formation professionnelle pour gérer la transformation du travail et des chaînes de valeur. Microsoft et Simplon ont, par exemple, co-construit un programme de formation à destination des jeunes de quartiers populaires, notamment des jeunes femmes.

High-Tech VERSUS Low-Tech ?

L’ampleur des impacts négatifs des industries des Tech est si énorme, qu’il est légitime de se demander : dans la course à la résolution de nos grands enjeux planétaires, faut-il miser sur les High-Tech et leur haute performance, ou sur les Low-Tech et leur faible impact ? Même la Green Tech utilise des matériaux très peu recyclables, en particulier les métaux rares, dont l’extraction pose de graves problèmes sociaux et environnementaux… Selon l’ADEME, actuellement 10 milliards d’emails sont échangés chaque heure dans le monde, 47% des émissions de gaz à effet de serre du numérique sont générés par les équipements des consommateurs (ordinateurs, smartphones, tablettes, objets connectés, GPS…), 28 % par les infrastructures réseau, 25% par les data centers.

« Les data centers seront les plus gros consommateurs d’énergie sur la planète, d’ici le milieu de la prochaine décennie ».

Chez Microsoft, près de la moitié de l’électricité des data centers provient d’énergies renouvelables. Le groupe vise 100% dans 5 ans. Certains grands acteurs avancent sur le plan de leur impact, mais faut-il continuer de développer de nouvelles technologies à tout prix ? Le déploiement de la 5G pourrait être un véritable désastre écologique et sanitaire [5]. La Tech ne saurait résoudre à elle seule tous les défis actuels et futurs. Certaines innovations techniques simples, accessibles, durables et locales répondent à des problématiques autour des ressources, des besoins du quotidien, de la résilience climatique, de l’économie territoriale [6]. Une approche frugale prenant réellement en compte les limites de la planète nous paraît indispensable !

La prochaine matinée MySezame Le Club aura lieu le 31 mars 2020 et portera sur la thématique « Produire et consommer autrement ».

 

Article rédigé par Marie Vabre, journaliste de solutions, fondatrice d’Explorer&Co

 

[1] Les VC sont les sociétés en phase de création, ou aux premières phases de leur développement, qui ont besoin de capitaux afin de financer leur démarrage et leurs premières recherches.

[2] Tech for Good, accélérer pour le bien commun – Cartographie et perspectives d’entreprises françaises à impact, 2019. https://pwc.to/2uwJ256

[3] Les inégalités menacent le développement à travers la planète (PNUD), 9 décembre 2019. https://news.un.org/fr/story/2019/12/1057811

[4] Donner un sens à l’intelligence artificielle – Pour une stratégie nationale et européenne, Dossier de presse du rapport Villani, mars 2018. https://www.aiforhumanity.fr/pdfs/MissionVillani_Presse_FR-VF.pdf

[5] Voir la tribune d’Hugues Ferreboeuf et Jean-Mars Jancovici, Directeut et Président du Shift Project : « La 5G est-elle vraiment utile ? », Le Monde (édition abonnés), 9 janvier 2020. Voir « Consommation d’énergie : des ONG s’élèvent contre la 5G », L’Info Durable, 24 janvier 2020.  http://bit.ly/36nTLwb

[6] Voir L’Âge des Low Tech » : vers une civilisation techniquement soutenable, de Philippe Bihouix, Ed. SEUIL, 2014.