Photo d'une assemblée avec 4 speakers

Photo prise lors de la matinée de MySezame Le Club le 4 novembre 2019 à la maison du crowdfunding

Le 4 novembre dernier, MySezame Le Club organisait une matinée inspirante sur la finance responsable, en deux temps. Trois grands témoins ont partagé leur vision et leur expérience éclairante, autour d’une table ronde : Eric Coisne, en tant que Directeur Associé de RAISE Impact, Hugues Le Bret, co-fondateur de Nickel et Olivier Jaillon, Chief Enablement Officer de La Parisienne Assurances. Des ateliers ont ensuite permis aux membres du Club de travailler en collectif, pour passer à l’action. Anne-France Bonnet, fondatrice du cabinet Nuova Vista, co-initiatrice et Secrétaire générale de la Communauté des Entreprises à Mission, est venue conclure sur l’intérêt de « la raison d’être », les incitations et retombées de la Loi Pacte.

MySezame Le Club est une communauté de décideurs et collaborateurs investis pour placer les enjeux sociaux et environnementaux au cœur de leur entreprise. Pour se tenir informés des dernières tendances et innovations socioéconomiques, se rencontrer et s’inspirer des pionniers du business à impact, les membres se retrouvent autour de quatre matinées annuelles thématiques. La première de l’année se déroulait à la Maison de Crowdfunding. Géré par KissKissBankBank, ce lieu de pédagogie sur la finance alternative est ouvert à ceux qui font l’économie de demain.

Pourquoi la finance responsable ?

S’il y a un sujet transverse et prospectif à tous les secteurs et métiers, c’est bien celui de la finance. De plus en plus d’acteurs financiers et assurantiels questionnent leurs pratiques, leurs offres et leurs impacts sur la planète. Face au problème climatique, comment penser de nouveaux modèles d’entreprises ou réinventer son business ? De quelles façons créer des produits ou services plus inclusifs socialement ? Dans la peau d’un prescripteur de la finance responsable, avec quels arguments convaincre les décideurs et parties prenantes de l’investissement ?

Un mouvement de fond(s)

Une conviction forte est partagée par les intervenants : la finance responsable est un « mouvement de fond », certainement pas un « effet de mode » ! Églantine Tuaillon, Responsable communauté MySezame et animatrice de la table ronde, évoque un « point de bascule ».

« Les entrepreneurs sont de plus en plus nombreux à viser un rendement économique équitable, associé à un impact social et environnemental. En parallèle, les investisseurs souhaitent désormais donner du sens à leur argent », s’enthousiasme Eric Coisne, Directeur Associé de RAISE Impact et fin connaisseur du monde de l’entrepreneuriat. Ce fondateur et dirigeant de plusieurs sociétés par le passé, multiplie les engagements aux côtés des créateurs d’entreprise – Réseau Entreprendre Île-de-France, Fondation Entreprendre, Ticket for Change, ou encore Ashoka.

« Face à l’urgence climatique, à la surexploitation des ressources naturelles, ou aux inégalités sociales, les entreprises ont le pouvoir de faire bouger les lignes. Par leur capacité d’innovation, elles développent de nouvelles voies, des nouvelles filières ». Sur les marchés, en finance responsable, les best in class font les meilleurs efforts quel que soit leur secteur d’activités. Les best-effort démontre une volonté d’amélioration de leurs pratiques habituelles, ou la mise en place de moyens pour changer dans le temps.

« Filtre urgent et systémique »

Directeur Associé, Eric a fondé RAISE Impact avec Aglaé Touchard-Le Drian, une société d’investissement en charge d’un fonds de 100 millions d’euros, confié par la Fondation de France, dédié à l’investissement dans des projets à impact à travers l’accompagnement de PME et de startups à mission ou en transformation. Avant d’investir dans une entreprise, le board se demande si elle a une approche systémique, pour « apporter des changements profonds » et une réponse à une problématique urgente. « C’est notre filtre U et S, pour urgent et systémique », explique Éric en donnant un exemple concret.

« La perte de biodiversité est sans doute le plus grave problème de la planète. En 40 ans, nous avons perdu 60% des populations d’animaux sauvages. L’agriculture est responsable de 70% de la déforestation ».

Face à ces constats alarmants, RAISE Impact a investi dans M2i, leader européen de la production et distribution de phéromones de biocontrôle, comme alternative biologique aux insecticides.

Croissance des inégalités + de l’activisme = produits plus inclusifs

Pour Hugues Le Bret, il y a une tendance fondamentale de mondes à deux vitesses.

« Depuis une vingtaine d’années, les classes populaires ont un sentiment de déclassement », observe-t-il en  citant une étude Panorabanques, selon laquelle 21% des Français sont chaque mois, en situation de dépassement de découvert autorisé, et 40% au moins une fois par trimestre. D’un autre côté, « un segment important de la population de plus de 60 ans ayant de hauts revenus, se préoccupent peu des enjeux sociétaux et consomment beaucoup, en particulier dans le secteur du luxe ».

« En parallèle, c’est la première fois qu’il y a un pessimisme aussi fort sur l’avenir, avec une crainte des générations futures de vivre plus mal ».

Selon Hugues, la conscience des problématiques sociétales démarre de plus en plus jeune. Elle s’accroit chez les Millennials, certains développant un véritable militantisme. Aujourd’hui, pour beaucoup d’entre eux, « ce qui est fort et puissant provoque le rejet. Il y a un sujet majeur de rupture complète de segment de clientèle qui ne veut plus de ces anciennes marques. Comment faire pour y remédier ? », lance-t-il avant de rapporter sa propre expérience d’entrepreneur.

Les cofondateurs de Nickel ont souhaité créer un service bancaire alternatif, ouvert à tous – y compris aux interdits bancaires, sans condition de revenus. Le compte s’ouvre chez un buraliste pour 20 € par an. Le découvert n’est pas autorisé, revenant 2 à 3 fois moins cher qu’un compte en banque ordinaire. Sur le marché bancaire, les « néo-banques » représentent actuellement plus du tiers des nouvelles entrées en relation, chaque année. La moyenne d’âge est plutôt jeune, environ 35 ans.

Des aléas de la vie aux aléas climatiques

Chief Enablement Officer de La Parisienne Assurances, Olivier Jaillon partage ces analyses pessimistes, chiffres à l’appui. L’Observatoire des inégalités pointe une rupture sans précédent dans notre histoire sociale : la pauvreté ne recule plus en France, depuis 2000. Plus de la moitié des foyers fiscaux sont non assujettis à l’impôt sur le revenu. Selon l’Insee, les ménages les plus modestes gagnent en moyenne, moins de 11 000 euros par an. Un million de travailleurs précaires vivent aujourd’hui avec moins de 855 euros par mois.

« En tant qu’assureur, notre position est particulière, au croisement de l’impact social et environnemental, car nous sommes là pour protéger des aléas de la vie et des aléas climatiques ».

La Parisienne crée des assurances de biens sur-mesure, en marque blanche, tous disponible sous forme d’APIs, pour tout type de distributeurs (courtiers, assurtech, e-retailers ..). Son capital se partage entre Swiss Re, 1er réassureur mondial, Diagonal, un Family Office, Olivier Jaillon, et le management. Sans langue de bois, Olivier dépeint le secteur de l’assurance comme l’un des rares à ne pas être aligné avec les intérêts des consommateurs, contrairement à la plupart des industries, dont l’objectif est de satisfaire au mieux les clients finaux. « Notre intérêt est de minimiser les indemnités et de maximiser les profits », concède-t-il.

« Les nouvelles générations sont très activistes et en demande de transparence. Ce sont deux mots clés pour repenser sa proposition de valeurs ».

De l’opacité à la transparence en assurance ?

« En parallèle, le régulateur est plus attentif. Il devient assez actif, voire agressif sur ce sujet d’impact des produits ». En effet, animée d’une double quête de transparence et de protection des intérêts du consommateur, la législation se penche sur la construction du tarif de la prime d’assurance et sur la question de la rémunération d’intermédiation (les commissions des courtiers, distributeurs, etc.). La Parisienne, qui distribue ses produits dans 15 pays en Europe, est particulièrement attentif à ces enjeux, notamment au UK où le régulateur est particulièrement sensible aux niveaux de commission.

« En additionnant : le risque de désalignement avec les attentes des consommateurs activistes, le risque du régulateur et le risque réputationnel, il est totalement évident que nos produits doivent avoir une dimension d’impact sociétal ». Dans cette optique, l’entreprise a décidé d’initier une démarche « non-profit », tout en se fixant l’objectif de rédiger sa raison d’être a posteriori, d’ici 2021.

Dans cette optique, l’assureur vient de lancer son offre de micro-assurance, à destination des salariés les plus fragiles, couvrant trois domaines de la vie courante : la mobilité, les revenus, le foyer.

« Cette population qui n’a pas les moyens, par exemple, de souscrire à une prime auto tous risques, peut être couverte pour un coup dur grâce à une aide financière en cas d’accident si le véhicule est complètement détruit ou ne peut pas être réparé ; et cela pour seulement 2,50€ par mois».

La plateforme digitale propose l’automatisation complète de la tarification, de la souscription et du paiement des sinistres. En s’appuyant sur les APIs et la Blockchain, les coûts sont ainsi considérablement réduits. « On a décidé de ne faire aucune marge technique sur cette offre. Si notre pricing n’est pas bon et qu’il y a des pertes, nous les prendrons pour nous. S’il y a des gains, ils seront rétrocédés ».

Construire, déployer et défendre ses bonnes pratiques

Autre grand chantier pour La Parisienne : la mise en place de best practices, qui devront être adoptés par tous ses distributeurs à terme, en commençant par « s’interdire d’aller au-delà d’un certain taux de commission et rédiger des conditions générales compréhensibles par des publics ayant un faible niveau d’études ». Pour la réussite d’une démarche non profit dont les ROI sont incertains, Olivier en est persuadé : la gouvernance de l’entreprise doit être alignée.

« Il a fallu convaincre le board, l’executive management et le capital humain, tous habitués à fonctionner aux bonus. J’étais certain que si nous ne cherchions pas à avoir un impact positif, nous aurions un problème de performance commerciale à très court terme ».

Pour les cofondateurs de Nickel, il s’agissait d’abord de travailler sur les valeurs centrales de la marque : « Universalité » (pour tous, sans condition de revenus), « bienveillance » (attention portée à l’accompagnement à l’ouverture du compte, SAV, écoute), « transparence » (CGV compréhensibles par tous, rémunération des buralistes, marges affichées), « simplicité » (parcours client intuitif, pas de produits inutiles). Deuxième constat important pour Hugues : bien s’entourer. Les créateurs ont su attirer des talents complémentaires, des « profils très techno, ingénieurs », mais aussi « marketing terrain », ainsi qu’un ensemble de partenaires solides, comme MasterCard.

En répondant à un fort besoin de « rebancarisation » des précaires et des terroirs, Nickel a bénéficié d’un très bon bouche-à-oreille et d’une grande couverture médias. Forte de ses valeurs et de ce buzz, la marque a pu capter une clientèle plus aisée. Dès lors, les services additionnels plus élevés semblent justifiés par une transparence des tarifs et des marges. Être libre de faire la passerelle facilement entre un service gratuit et payant, sans pénalité, apparaît aussi comme un atout pour la clientèle. Grâce à cette « simplicité de l’offre », Hugues estime que l’entreprise n’a pas eu besoin de « caution, d’un tiers de confiance », face aux futurs investisseurs.

Du point de vue d’un grand groupe, se réinventer peut aussi passer par acquérir une entreprise plus petite, ayant un business model innovant et à impact. C’est le positionnement adopté par la BNP Paribas, quand elle rachète Nickel, en 2017. Parallèlement, la banque crée une « direction de l’engagement » et annonce cesser ses activités de financement et d’investissement dans l’industrie du tabac. Ironique, diront certains. Une façon assumée de participer à orienter la reconversion d’un pan de l’économie liée au tabac, diront d’autres.

Pour Éric Coisne, la crédibilité des bonnes pratiques passe par la mesure d’impact.

« Même s’il s’agit parfois de quelques indicateurs pour évaluer les progrès, c’est essentiel. Je crois en la démocratisation de la comptabilité en triple capital » (NDLR : financier, naturel, humain). Cet investisseur responsable n’hésite pas à prôner un « changement profond du capitalisme ». Selon lui, « il ne doit plus seulement tendre à maximiser les profits, mais aussi à mieux prendre soin des Hommes et de la planète ».

Temps 2 de la matinée : des ateliers adaptés à chaque membre

Pour les aider à passer à l’action, les membres avaient le choix entre trois workshops, selon leur niveau d’acculturation et leur besoin de concrétisation :

  • « Atelier 1 : Premier pas vers l’engagement» : Il s’agissait de prendre un temps d’appropriation des sujets et identifier des idées / pistes de réflexion pour mettre en pratique une action simple autour de la finance responsable.
  • « Atelier 2 : Contribuer à un projet concret» : Pour aider un membre du club – Patrice Guedet, courtier en assurances, à avancer dans son projet de business à impact, les participants ont utilisé des méthodes de co-développement.
  • « Atelier 3 : Partage de bonnes pratiques »: Suite au témoignage d’un membre qui a mené un projet d’impact au sein de son entreprise – Maxime Druais, ingénieur financier chez Natixis Assurances, les participants étaient invités à restituer une bonne pratique marquante, partager leurs freins et imaginer une action concrète à court terme.

Lien avec l’entreprise à mission  

En clôture de cette matinée, Anne-France Bonnet de Nuova Vista était venue apporter ses éclairages sur l’actualité de l’entreprise à mission. Pour plus d’informations, retrouvez notre article sur le sujet. La question des impacts potentiels de la Loi Pacte sur le secteur de la finance est ouverte. Après la finance de demain, les prochaines matinées de MySezame Le Club porteront sur les thématiques : « Business inclusifs – BoP », « Numérique et impact », « Produire et consommer autrement ». Rendez-vous à la prochaine matinée le 21 janvier !

Article rédigé par Marie Vabre pour MySezame